Cituation du mois de décembre 2021 (Cituation #58) :

« Le concept de « faux self » est déterminant pour saisir la nature psychique de l’homme du ressentiment : de même qu’il n’agit pas, qu’il réagit, de même il n’est pas, il se masque, même s’il n’en a pas conscience. Et d’ailleurs, il n’aura de cesse de refuser l’examen de sa propre conscience, refusant de considérer qu’il a une quelconque responsabilité dans sa situation. Il opte à jamais pour la mauvaise foi et s’y enferme. »

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment, p. 43, Editions Gallimard, Paris, 2020.

Qui est le responsable de ma situation ? Le simple fait de poser cette question pourrait être l’indice d’un glissement vers une attitude de ressentiment car en formulant cette question je sous-entends que je considère que je ne suis pas du tout responsable de ma situation, et il se pourrait bien que je cherche un bouc émissaire…

« Le renforcement actuel de l’individualisme peut également produire un terreau pour le ressentiment dans la mesure où l’individu fait sécession et commence à n’entrevoir sa responsabilité qu’à la condition de la distinguer de celle des autres. Premier réflexe, rendre les autres responsables du dysfonctionnement perçu ; second réflexe : considérer que nous ne sommes pas responsables des manquements des autres. L’individu ne veut plus porter sur soi la responsabilité collective mais, en même temps, chaque fois qu’il lui est donné la possibilité d’assumer une responsabilité individuelle, il la juge comme étant une responsabilité collective masquée. En somme, le ressentiment est cette astuce psychique consistant à considérer que c’est toujours la faute des autres et jamais la sienne. On invite chacun à prendre sur soi, mais dès que l’occasion se présente d’assumer sa responsabilité, on se considère comme irréprochable. »

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment, p. 37, Editions Gallimard, Paris, 2020.

Dans « Ci-gît l’amer, guérir du ressentiment », la philosophe Cynthia Fleury analyse la mécanique du ressentiment, cette posture mortifère pour l’individu comme pour la société, et rappelle les travaux de Max Scheler, Wilhelm Reich, Max Horkheimer, Theodor Adorno ou Robert Paxton, qui ont montré comment l’enfermement dans cette attitude mène tout droit au fascisme.

« Avant la traduction politique du ressentiment au niveau plus collectif, lorsque le nombre va venir rassurer le faux sujet et l’inciter à devenir plus vindicatif, précisément parce qu’il peut disparaître derrière le nombre et ne pas porter seul les conséquences de sa vindicte, l’homme du ressentiment pratique une forme d’introversion, de dissimulation, d’hypocrisie typique des soumis – non que l’hypocrisie soit nécessairement le corollaire d’une soumission – et s’enferme dans ses contradictions : honnir les autres, et en même temps s’en remettre à eux pour changer sa situation. »

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment, p. 207, Editions Gallimard, Paris, 2020.

L’homme du ressentiment refuse l’action, il préfère remâcher, ruminer et s’enferme délibérément dans la victimisation. Il choisit la plainte à l’action et refuse l’engagement et la responsabilité qui sont le propre d’une personne libre.

« Il est impossible de dépasser le ressentiment sans que la volonté du sujet entre en action. C’est précisément cette volonté qui est manquante, enterrée chaque jour par le sujet lui-même, pour lui éviter aussi de faire face à sa responsabilité, à sa charge d’âme, à son obligation morale de dépassement. »

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment, p. 25, Editions Gallimard, Paris, 2020.

« Seule aptitude du ressentiment et dans laquelle il excelle : aigrir, aigrir la personnalité, aigrir la situation, aigrir le regard sur. Le ressentiment empêche l’ouverture, il ferme, il forclôt, pas de sortie possible. Le sujet est peut-être hors de soi, mais en soi, rongeant le soi, et dès lors rongeant la seule sortie possible vers le monde. »

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment, p. 24, Editions Gallimard, Paris, 2020.

« Très intéressante, l’analyse deleuzienne qui démontre comment l’homme du ressentiment, d’une incapacité à admirer, passe à une incapacité à respecter quoi que ce soit, et pas seulement l’objet de son dénigrement. Cela est d’ailleurs assez, logique : si l’admiration confère au sujet une capacité assez indéterminée d’augmentation de son esprit et de son champ d’action, à l’inverse le ressentiment produit un rétrécissement de l’âme, tout aussi indifférencié. « Le plus frappant dans l’homme du ressentiment n’est pas sa méchanceté, mais sa dégoûtante malveillance, sa capacité dépréciative. Rien n’y résiste. Il ne respecte pas ses amis, ni même ses ennemis. Ni même le malheur ou la cause du malheur. » »

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment, p. 80, Editions Gallimard, Paris, 2020, citant Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, p. 134, PUF, 1991.

Nous terminerons par la citation suivante, toujours extraite de ce livre très éclairant pour nos temps difficiles :

« La lutte contre le ressentiment enseigne la nécessité d’une tolérance à l’incertitude et à l’injustice. »

Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Guérir du ressentiment, p. 9, Editions Gallimard, Paris, 2020.

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