Cituation du mois de décembre 2015 (Cituation #4) :

“- Réfléchis une seconde Anakin ! Demande-toi ce que ferait Padmé si elle était dans cette situation.

– Elle ferait son devoir ! »

Réplique des personnages Obi-Wan Kenobi et Anakin Skywalker, dans le film Star Wars, Episode 2 : L’attaque des clones, réalisé par George Lucas en 2002.

La cituation du mois permet d’aborder la question du niveau d’abstraction des situations. Au moment où Obi-Wan et Anakin échangent ces paroles, il sont dans un vaisseau lancé à la poursuite du méchant comte Dooku, alors que Padmé vient de chuter depuis le vaisseau sur le sol du désert. C’est une situation concrète, unique, nouvelle, qui clairement n’aurait pas pu être anticipée. Pourtant les deux personnages quand ils font référence à cette situation, se comprennent parfaitement : ils partagent une abstraction de la situation concrète qu’on pourrait résumé ainsi : « Faut-il faire demi-tour pour aller sauver Padmé et, selon la position d’Obi-Wan, placer les sentiments personnels d’Anakin avant la réussite de la mission ou faut-il avant tout capturer le méchant (le devoir de ces deux chevaliers Jedi) ». Si l’on poursuit le cheminement d’abstraction de situation, on arrive à la situation abstraite suivante : « Le plus important est-il le devoir ou l’amour ? ». Et Anakin a sa réponse. On peut supposer qu’il y a dans la tête d’un Jedi, une situation encore plus abstraite : « Le devoir avant tout le reste ». C’est une « connaissance » au sens où cette règle ou devise, est utile pour décider des actions à mener. C’est une connaissance qui a été apprise, qui peut être erronée, en tout cas discutée (on peut défendre que la sauvegarde d’une vie humaine passe avant le devoir).

Comment le lien entre la situation concrète du moment (continuer la poursuite ou faire demi-tour) et cette règle générale (le devoir avant tout) se fait-il ? C’est toute la magie de la cognition et de l’intelligence… Et comme déjà évoqué dans l’article Cituation #1, l’analogie entre les situations est un mécanisme cognitif qui semble fondamental :

« Dans un premier temps, il y a une situation concrète avec des composantes concrètes. Elle est donc perçue comme quelque chose d’unique et séparable du reste du monde. Au bout de quelque temps pourtant, on rencontre une autre situation que l’on trouve semblable et le lien s’établit. Dès ce moment, les représentations mentales des deux situations commencent à se lier, à se mêler et à se confondre donnant lieu à une nouvelle structure mentale qui, bien que moins spécifique que chacune des deux sources (c’est-à-dire moins détaillée), n’est pas fondamentalement différente d’elles. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 47, Odile Jacob, 2013.

Mais revenons à une cituation de cinéma, pour illustrer le fait que souvent le terme situation est utilisé à un très haut niveau d’abstraction. Les « situations critiques » sont un exemple de situations abstraites qui peut recouvrir un très grand nombre de situations concrètes différentes…

« Dans les situations critiques, quand on parle avec un calibre bien en pogne, personne ne conteste plus. Y’a des statistiques là-dessus.”

Réplique du personnage Monsieur Charles dans le film Mélodie en sous-sol, réalisé par Henri Verneuil en 1963 (dialogues de Michel Audiard).

Une situation (avec son niveau d’abstraction) et une action (un calibre bien en pogne) : c’est une connaissance, un savoir-faire !

Après, chacun interprétera à sa manière ce qu’est une situation critique. En voilà une à laquelle vous n’aviez sûrement pas pensé :

« Je connais un critique qui est en même temps auteur… ce qui le met en tant qu’auteur dans une situation critique ! »

Raymond Devos

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