Cituation du mois de février 2018 (Cituation #19) :

« Le besoin impérieux d’un revenu suffisant et stable est une chose ; le besoin d’agir, d’oeuvrer, de se mesurer aux autres, d’être apprécié par eux est une chose distincte, qui ne se confond pas ni ne coïncide avec la première. Le capitalisme lie systématiquement les deux choses, les confond et fonde sur cette confusion le pouvoir du capital et son emprise idéologique : pas d’activité qui ne soit un “travail” commandé et payé par qui le commande ; pas de revenu suffisant qui ne soit la rémunération d’un “travail”. Le besoin impérieux d’un revenu suffisant sert de véhicule pour faire passer en contrebande “le besoin impérieux de travailler”. Le besoin d’agir, d’oeuvrer, d’être apprécié sert de véhicule pour faire passer en contrebande le besoin d’être payé pour ce qu’on fait.

Parce que la production sociale (celle du nécessaire et du superflu) exige de moins en moins de « travail » et distribue de moins en moins de salaires, il devient de plus en plus difficile de se procurer un revenu suffisant et stable au moyen d’un travail payé. Dans le discours du capital, on attribue cette difficulté au fait que “le travail manque”. On occulte ainsi la situation réelle ; car ce qui manque n’est évidemment pas le “travail” mais la distribution des richesses pour la production desquelles le capital emploie un nombre de plus en plus réduit de travailleurs.

Le remède à cette situation n’est évidemment pas de “créer du travail” ; mais de répartir au mieux tout le travail socialement nécessaire et toute la richesse socialement produite. Ce qui aura pour conséquence que ce que le capitalisme a artificiellement confondu pourra de nouveau être dissocié : le droit à un revenu suffisant et stable n’aura plus à dépendre de l’occupation permanente et stable d’un emploi ; le besoin d’agir, d’oeuvrer, d’être apprécié des autres n’aura plus à prendre la forme d’un travail commandé et payé. Celui-ci occupera de moins en moins de place dans la vie de la société et dans la vie de chacun. Au sein de celle-ci pourront alterner et se relayer des activités multiples dont la rémunération et la rentabilité ne seront plus la condition nécessaire ni le but. Les rapports sociaux, les liens de coopération, le sens de chaque vie seront produits principalement par ces activités qui ne valorisent pas de capital. Le temps de travail cessera d’être le temps social dominant. »

André Gorz, Misères du présent, Richesse du possible, p. 123, Editions Galilée, 1997.

L’automatisation et l’informatique sont des acteurs essentiels dans cette transformation du capitalisme qui laisse une part de plus en plus réduite au travail salarié dans la production de biens. On peut choisir de l’ignorer et de continuer à penser que « la plénitude des droits économiques (le droit au plein revenu), sociaux (droit à la protection sociale) et politiques (droit d’action, de représentation et d’organisation collectives) reste attachée aux seuls emplois, de plus en plus rares, occupés de façon régulière et à plein temps. » (André Gorz, ibidem, p. 108).

« Quand la création de richesses ne dépendra plus du travail des hommes, ceux-ci mourront de faim aux portes du Paradis à moins de répondre par une nouvelle politique du revenu à la nouvelle situation technique ».

Wassily Leontiev cité par André Gorz dans Misères du présent, Richesse du possible, p. 146.

Quel est le remède à cette situation ? (on parle ici d’une situation très générale : la situation économique mondiale, c’est à dire un moment dans l’évolution globale du capitalisme et des sociétés occidentales). Et l’évaluation qui est faite de cette situation est négative : il s’agit d’une crise (cf le sens anglais de situation dans Cituation #12), il faut donc faire quelque chose : remédier, répondre, agir…

Le remède, donc, André Gorz l’a depuis longtemps proposé et défendu : c’est la mise en place d’un revenu de base suffisant et inconditionnel.

« Une des fonctions de l’allocation universelle est, au contraire, de faire du droit au développement des facultés de chacun le droit inconditionnel à une autonomie qui transcende sa fonction productive et existe par et pour elle-même sur le plan moral (autonomie du jugement de valeur), politique (autonomie de la décision concernant le bien commun), culturel (invention de styles de vie, modèles de consommation et arts de vivre), existentiel (capacité de se prendre en charge au lieu d’abandonner aux experts et autorités le soin de décider ce qui est bon pour nous). »

André Gorz, Misères du présent, Richesse du possible, p. 145, Editions Galilée, 1997.

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