Cituation du mois de mars 2019 (Cituation #32) :

« Ainsi, comme l’emplacement, le passé s’intègre à la situation lorsque le pour-soi, par son choix du futur, confère à sa facticité passée une valeur, un ordre hiérarchique et une urgence à partir desquels elle motive ses actes et ses conduites. »

Jean-Paul Sartre, L’être et le néant, p. 666, Editions Gallimard, Paris, 1946.

Deuxième caractéristique ou structure d’une situation selon Sartre, le passé :

« S’il ne détermine pas nos actions, au moins est-il tel que nous ne pouvons prendre de décision nouvelle sinon à partir de lui. »

Jean-Paul Sartre, Ibidem, p. 656.

Dans le passé, j’ai fait des choix, que je peux continuer d’assumer ou non… Le projet que je me suis fixé, je suis libre à chaque instant de le changer, de décider de rester fidèle ou non à ce choix passé :

« Ainsi, ma liberté ronge ma liberté. Étant libre, en effet, je projette mon possible total, mais je pose par là que je suis libre et que je peux toujours néantiser ce projet premier et le passéifier. Ainsi, dans le moment où le pour-soi pense se saisir et se faire annoncer par un néant pro-jeté ce qu’il est, il s’échappe car il pose par là même qu’il peut être autre qu’il est. Il lui suffira d’expliciter son injustifiabilité pour faire surgir l’instant, c’est-à-dire l’apparition d’un nouveau projet sur l’effondrement de l’ancien. Toutefois, ce surgissement du nouveau projet ayant pour condition expresse la néantisation de l’ancien, le pour-soi ne peut se conférer une existence neuve : dès lors qu’il repousse le projet périmé dans le passé, il a à être ce projet sous la forme du « étais » – cela signifie que ce projet périmé appartient désormais à sa situation. »

Jean-Paul Sartre, Ibidem, p. 637.

Si l’on revient à notre modèle, une situation donnée est résumée, modélisée par le nos courant, mais l’ensemble des nos passés constituent également la situation. A ce titre, on pourrait décider de placer les nos parcourus dans la mémoire de travail au même titre que les faits. Mais fermons là cette parenthèse technique sûrement un peu incongrue et revenons à Sartre, et à l’objectivation du passé, qui peut alors être pensé comme objet par le pour-soi (comprendre conscience) à condition de faire un choix nouveau :

« Mais précisément parce qu’il est libre et perpétuellement repris par la liberté, mon choix a pour limite la liberté même ; c’est-à-dire qu’il est hanté par le spectre de l’instant. Tant que je reprendrai mon choix, la passéification du processus se fera en parfaite continuité ontologique avec le présent. Le processus passéifié reste organisé à la néantisation présente sous forme d’un savoir, c’est-à-dire de signification vécue et intériorisée, sans jamais être objet pour la conscience qui se projette vers ses fins propres. Mais, précisément parce que je suis libre, j’ai toujours la possibilité de poser en objet mon passé immédiat. Cela signifie que, alors que ma conscience antérieure était pure conscience non-positionnelle (du) passé, en tant qu’elle se constituait elle-même comme négation interne du réel co-présent et qu’elle se faisait annoncer son sens par des fins posées comme « re-prises », lors du nouveau choix la conscience pose son propre passé comme objet, c’est-à-dire qu’elle l’apprécie et prend ses repères par rapport à lui. Cet acte d’objectivation du passé immédiat ne fait qu’un avec le choix nouveau d’autres fins : il contribue à faire jaillir l’instant comme brisure néantisante de la temporalisation.

Jean-Paul Sartre, Ibidem, p. 620.

Mais si dans l’instant présent notre projet inchangé peut nous aveugler car nous empêcher de voir les choses « objectivement », du moins sous un autre angle, ne peut-on vraiment avoir du recul sur la situation et sur le passé qu’en changeant de projet ? En tout cas c’est au moins en faisant l’exercice virtuellement ou en simulation (explorer un changement de projet, imaginer d’autres choix possibles) que nous pourrons interpréter le passé et le réel différemment. Mais ce n’est pas facile, tant mon interprétation du passé dépend de mon projet actuel :

« Or la signification du passé est étroitement dépendante de mon projet présent. Cela ne signifie nullement que je puis faire varier au gré de mes caprices le sens de mes actes antérieurs ; mais, bien au contraire, que le projet fondamental que je suis décide absolument de la signification que peut avoir pour moi et pour les autres le passé que j’ai à être. Moi seul en effet peux décider à chaque moment de la portée du passé: non pas en discutant, en délibérant et en appréciant en chaque cas l’importance de tel ou tel événement antérieur, mais en me pro-jetant vers mes buts, je sauve le passé avec moi et je décide par l’action de sa signification. »

Jean-Paul Sartre, Ibidem, p. 658.

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