Cituation du mois de décembre 2020 (Cituation #52) :

« Une situation très est donc une situation qui qualifie le monde extérieur par rapport aux attentes que l’on a relativement à ce monde ou aux normes qu’on lui connaît. Pour percevoir une situation très, il faut non seulement être concentré sur quelque chose d’externe (comme le retard d’un avion) ou sur un état interne (avoir faim), mais il faut aussi être conscient, au moins dans une certaine mesure, de ses propres attentes ou des normes en la matière. « Ah zut… il va arriver très en retard, ce vol. »  »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 87, Odile Jacob, Paris, 2013.

De même que les proverbes et les expressions représentent des catégories de situations, de simples mots, non seulement des noms, des adjectifs, mais aussi des adverbes (très, pourtant, …), des conjonctions de coordination (et, mais, ou, …) désignent aussi des catégories mentales, des concepts, des situations…

« Un enfant développe sa catégorie des situations très (tant les creux sémantiques que les créneaux syntaxiques) comme il développe toute autre catégorie. Il fera cet apprentissage sans supervision, car l’école n’enseigne rien de tel et n’a nul besoin de le faire ; l’enfant deviendra, sans efforts particuliers (sans même parler d’efforts conscients), très expert ès très. Il entendra des usages poétiques, désuets, argotiques, joueurs, et marginaux comme « ma très chérie », « j’ai très besoin de ça »,  « mon pote est très dans le coup », « ça s’est passé très en début de soirée », et sans y penser il fera lui-même quantité de ce type d’exploration plus ou moins audacieuse. Ce faisant il développera un sens personnel des périphéries de cette catégorie – la catégorie lieux et usages appropriés pour le mot « très ».  »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 90, Odile Jacob, Paris, 2013.

Il y a donc des situations très, des situations et, des situations mais, etc… Dont les contours sont appris, développés, affinés par chacun tout au long de sa vie.

« L’acte de catégorisation qui distingue les situations et des situations mais n’est pas extrêmement subtil, mais il est extrêmement utile et souvent suffisant. Pourtant, les larges catégories que nous avons étiquetées « situations et » et « situations mais » regroupent de nombreuses sous-catégories dont les nuances se découvrent au fur et à mesure, d’abord durant l’enfance, puis encore lorsque l’on est adulte, jusqu’à pouvoir distinguer entre ces sous-catégories et par conséquent choisir en temps réel le connecteur précis – qu’il s’agisse d’un mot ou d’une expression – qui décrit le mieux la situation en question dans l’espace du discours. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 95, Odile Jacob, Paris, 2013.

Pour que nous puissions être capables de tenir un flot de discours avec nos interlocuteurs, nous devons choisir en permanence les « bons » mots et cela se fait par catégorisation / analogie. C’est même notre spécialité, en tant qu’êtres humains utilisant le langage. 

« Nous percevons et catégorisons les situations dans l’espace du discours, et nous le faisons aussi promptement et naturellement que le lion chasseur dans la savane choisit sa trajectoire en une fraction de seconde pour poursuivre et capturer sa proie.  »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 91, Odile Jacob, Paris, 2013.

Mais ce qui se passe dans notre tête lors du choix d’un mot n’est qu’un exemple de ce processus plus général qu’est la pensée, qui fonctionne de la même manière :

« Nous autres humains excellons dans les mises en correspondance souples entre des situations nouvelles et des concepts enfouis dans notre mémoire, sans avoir la moindre conscience que c’est par milliers que nous réalisons chaque jour de telles associations. Tout comme les danseurs accomplis montrent constamment leur virtuosité à faire des manœuvres rapides dans l’espace physique, les locuteurs accomplis d’une langue montrent sans discontinuer leur virtuosité à exécuter des manœuvres rapides dans l’espace conceptuel, où une « manœuvre » consiste à viser exactement l’endroit approprié parmi son vaste stock d’expériences et à y cueillir un souvenir hautement pertinent, recouvrant de manière profonde et importante la situation actuelle. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 160, Odile Jacob, Paris, 2013.

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