Cituation du mois de mars 2021 (Cituation #55) :

« Une situation peut être catégorisée d’une infinité de manières, ce qui se traduit par la diversité du choix des mots, mais aussi des expressions ou des proverbes pour la désigner. Le vieux piano peut être instrument de musique dans le contexte d’un cours particulier et devenir meuble dans le contexte d’un déménagement, ou nid à poussière pour la personne qui fait le ménage, ou signe extérieur de raffinement pour ceux qui le font trôner fièrement au milieu de leur salon.  »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 235, Odile Jacob, Paris, 2013.

Cette catégorisation des situations que nous pratiquons est un processus mystérieux et puissant qui fonctionne en permanence dans notre cerveau, de manière inconsciente :

« Les myriades d’analogies qui apparaissent et disparaissent en continu dans nos têtes n’ont pas pour seule fonction la recherche d’étiquettes lexicales. Nombre d’entre elles sont créées pour donner sens à des situations à plus grande échelle auxquelles nous sommes amenés à faire face. Identifier, sous la forme d’un concept déjà connu, l’essence d’une situation complexe qui se présente à nous pour la première fois implique une compréhension plus profonde et plus globale que celle qui consiste simplement à apposer mentalement des étiquettes sur ses maintes composantes. Et pourtant, ce processus plus profond – l’évocation par analogie d’un souvenir longtemps enseveli – est tellement essentiel et normal dans nos vies que nous n’y pensons pas et ne nous en apercevons pas. C’est un processus automatique et presque personne ne se demande pourquoi il se produit, ni comment, tellement il est familier. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 26, Odile Jacob, Paris, 2013.

En poussant le raisonnement, il n’y a jamais une situation mais une multitude de situations face à nous :

« (…/…) on ne se retrouve jamais devant une situation isolée, mais (…/…) on fait face toujours à une multitude de situations, et qu’il n’y a jamais un seul point de vue possible, mais toujours une multitude de points de vue envisageables. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 146, Odile Jacob, Paris, 2013.

Face à cette multitude, nous pourrions nous sentir complètement perdus : heureusement, la catégorisation va nous aider à nous y retrouver et à identifier une situation (qui deviendra pour nous la situation, qui fera sens pour nous et nous permettra d’agir…).

Car, la catégorisation ne se produit pas ex nihilo, elle est guidée par un contexte, une perspective, un point de vue, un but. 

« Toute situation se prête à de multiples catégorisations. La catégorie sélectionnée détermine la perspective selon laquelle la situation est appréhendée. Le champ des situations évoquées ici montre l’absurdité d’envisager toute frontière fixe et toute interprétation figée. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 147, Odile Jacob, Paris, 2013.

Nos prismes d’appréhension de la situation (objectifs, intérêts, humeurs, …)  constituent un atout pour orienter la catégorisation mais présentent aussi des inconvénients car le point de vue choisi consciemment ou inconsciemment peut devenir « biais cognitif » (et quelque part nous aveugler)…

L’expertise commence quand on est capable d’identifier les caractéristiques profondes de la situation :

« Aboutir à distinguer dans une situation ses aspects contingents d’autres caractéristiques plus profondes est un progrès intellectuel important pour un individu. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 252, Odile Jacob, Paris, 2013.

Comprendre, par exemple, à la lecture d’une fable, la morale de l’histoire et distinguer dans le texte les aspects superficiels, de ce qui compte vraiment dans l’histoire est une faculté remarquable, jalousée par les ordinateurs. Et ceci s’applique dans tous les domaines d’expertise.

« Ces rapprochements apparemment triviaux pour l’être humain constituent de très sérieux défis pour les chercheurs en intelligence artificielle. Pénétrer si rapidement la profondeur, c’est le propre de l’intelligence humaine et les ordinateurs ne peuvent que rêver du jour où ils pourront eux aussi se rendre compte en un clin d’œil que deux situations sont « exactement les mêmes », bien qu’elles soient en surface si différentes. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 144, Odile Jacob, Paris, 2013.

Mais il est maintenant temps de terminer, à regret, notre tour du livre L’analogie, coeur de la pensée par une dernière cituation…

« Ainsi, l’analogie, loin d’être un phénomène ponctuel, envahit et détermine la cognition de pied en cap, depuis les actes les plus banals et inconscients d’identification d’objets familiers (« ceci est une table ») jusqu’aux découvertes scientifiques les plus abstraites (par exemple, la théorie de la relativité générale) et aux créations artistiques les plus inspirées, en passant par ce qui guide la manière dont chacun interagit avec son environnement, interprète une situation, raisonne au quotidien, prend des décisions et acquiert de nouvelles connaissances. »

Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, p. 28, Odile Jacob, Paris, 2013.

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